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La Porte de l'enfer streaming 2160p

Rodin devant La Porte de l’Enfer se reflйtant dans un miroir.
Photo William Elborne, 1887.

« Et si l’on йtait regardй. »

« Faire avec ses mains ce que l’on voit, voilа la loi souveraine. »
Auguste Rodin, Йcrits et entretiens.

« Nous vivons aujourd’hui dans un temps d’indiffйrence.
Il semble qu’il n’y ait plus de colиres. »
Auguste Rodin, Entretiens avec Henri Dujardin-Beaumetz. 1913 [1 ].

« Pas d’au-delа, ni de spйculation sur lui, la sculpture est sans au-delа, ici, ici-mкme.
Votre apparition en ce monde a moins de rйalitй qu’un livre ou une statue vivante. »

« Rodin, en pleine expansion du nihilisme, a retrouvй de lui-mкme la voie dйrobйe. »
Philippe Sollers, La Porte de l’Enfer d’Auguste Rodin.

En guise d’ouverture

La Porte de l’Enfer

C’est par un arrкtй du 16 aoыt 1880 que Rodin reзoit de la direction des Beaux-Arts la commande d’une porte « ornйe de bas-reliefs reprйsentant la Divine Comйdie de Dante ». Le sculpteur se met aussitфt au travail. Dans Le Matin du 19 mars 1900, un chroniqueur rapporte ses propos :

« Dante est non seulement un visionnaire et un йcrivain, disait-il [Rodin] ; c’est aussi un sculpteur. Son expression est lapidaire au bon sens du mot. Quand il dйcrit un personnage, il campe avec son attitude et son geste. [. ] J’ai vйcu un an entier avec Dante, ne vivant que de lui et qu’avec lui, dessinant les huit cycles de l’enfer. [Mais] а la fin de cette annйe, je me rendis compte que mes dessins йtaient trop йloignйs de la rйalitй, je recommencerai tout et travaillai d’aprиs nature avec mes modиles. » [2 ]


Pierre Choumoff, Rodin et Henriette Coltat
devant la Porte de l’Enfer, а Meudon.
Copie d’argent de gйlatine, 22.8 x 17.3 cms.

La Porte de l’Enfer occupera Rodin jusqu’а la fin de sa vie, soit pendant plus de trente ans. Les reproductions sont nombreuses. Oщ est l’« original », l’« authentique ». La Porte de l’Enfer fut-elle jamais « achevйe ». Ces questions ont-elles un sens. Lorsqu’on fait remarquer а Rodin que sa Porte est inachevйe, il rйpond. « Et les cathйdrales, elles sont finies. »

C’est en tout cas le plвtre de Meudon (1900) que Rodin a sous les yeux pendant dix-sept ans. Il sera restaurй en juillet-aoыt 1917 quelques mois avant la mort du sculpteur.

Les trois premiиres fontes en bronze — pour Philadelphie, Paris et Tokyo — ne seront rйalisйes qu’aprиs 1925 par Alexis Rudier (qui fera aussi dans les annйes quarante la quatriиme aujourd’hui а Zurich) а partir d’un plвtre conservй au musйe Rodin.
Les trois derniиres fontes ont йtй exйcutйes par la fonderie de Coubertin, а la cire perdue, pour Standford (1981), Shizuoka (1992) et Sйoul (1997) а partir du plвtre du musйe d’Orsay (qui date de 1917) [3 ] .

Le Penseur


Troisiиme maquette de La Porte de l’Enfer. 1880.
Plвtre, H. 115,5 x L. 75 x P. 30.

Il est intйressant de rappeler que Rodin a d’abord intitulй cette figure magistrale Le Poиte en pensant а Dante. Ce n’est qu’en 1889, lors de l’exposition Monet-Rodin. que son nom deviendra Le Penseur. Ainsi que le raconte leCourrier du soir :

« Lа-haut, au sommet, comme effrayй lui-mкme de son oeuvre, l’artiste, le poиte, le crйateur est accroupi, la tкte dans ses mains, enserrant son cerveau qui bout, tout son кtre ramassй en une attitude de mйditation et de songerie ; Rodin nomme cette figure "le Penseur" [. ] » [4 ]

Saluй dиs sa premiиre fonte en bronze en 1884 (alors que le Balzac suscitera un tollй en 1898), Le Penseur est perзu comme « un hommage au peuple et un symbole de la dйmocratie ». On peut lire dans L’Univers et le Monde du 30 dйcembre 1904 :

« Le Penseur de M. Rodin, c’est l’ouvrier quelconque, anonyme, inconnu, le premier d’entre les prolйtaires, dont l’artiste a exagйrй encore, selon les exigences et les manies de son art, la grossiиretй native. Il symbolise la sociйtй йgalitaire et la rйpublique intйgrale. » [5 ]

Il faut, bien sыr, resituer ces propos dans le contexte de l’йpoque (tournant de la IIIe Rйpublique avec la victoire du "Bloc rйpublicain"). Donnй а l’Йtat, Le Penseur est alors placй devant le Panthйon. Il y restera jusqu’en 1923, date а laquelle il sera transfйrй au musйe Rodin.
Au-delа de ces prйcisions historiques et l’analyse historiciste qui les sous-tend (avec les inйvitables malentendus), personne ne semble avoir insistй sur la proximitй entre le Poиte et le Penseur que le changement de nom ne peut faire oublier, mais, au contraire, souligne. C’est bien un poиte qui pense qu’un artiste nous montre (ce que la rйpublique et ses clercs, de tout temps, ont peut-кtre le plus de difficultйs а admettre). Mais qu’en est-il du rapport entre « Poйsie et Pensйe »,— a fortiori si, comme le dit Rodin а propos de Dante, le poиte est « aussi un sculpteur ».
Heidegger :

« Ce caractиre de la pensйe, qu’elle est oeuvre de poиte, est encore voilй.
Lа oщ il se laisse voir, il est tenu longtemps pour l’utopie d’un esprit а demi poйtique.
Mais la poйsie qui pense est en vйritй la topologie de l’Кtre.
A celui-ci elle dit le lieu oщ il se dйploie. » [6 ]

« [. ] poйsie et pensйe ne font pas seulement que se mouvoir dans l’йlйment du dire ; en mкme temps, elles sont redevables de leur dire а de complexes expйriences avec la parole qui, pour nous, sont а peine remarquйes et а peine moins recueillies. » [7 ] *


Laurиne L’Allinec et Ph. Sollers, au Collиge des Bernardins
le 18 janvier 2010. Photo V.K.

Peut-on filmer La Porte de l’Enfer. C’est sans doute aussi difficile que de la photographier. On touche lа aux limites mкme de l’image et de toute reprйsentation (et aussi de toute « reproduction mйcanisйe », comme disait Benjamin [8 ] ). Pas plus que la peinture, la sculpture n’est une image ou un ensemble d’images. Confrontй а des arts plus grands que lui, le cinйma a toujours perdu dans cette confrontation. Godard est sans doute le seul а avoir explorй et mis en scиne cette dйficience et cet йchec, techniques, physiques et, proprement "ontologiques". Un film comme Passion (1982) en tйmoigne. C’est aussi sa grandeur [9 ].
Comment alors filmer, relever le dйfi. En faisant entendre la parole qui prйcиde l’image et dont l’image procиde. Peu de cinйastes s’y sont risquй. Godard. Pour lui, l’image prime, le texte, souvent, dйprime [10 ] (Godard, parfois si bavard, aurait sans doute йtй un grand du « muet »). Guy Debord. Il a toujours dit qu’il pourrait faire un film avec n’importe quelles images (toujours en noir et blanc, il les choisit pourtant avec prйcision). chez lui le commentaire importe. C’est ce qui fait la beautй de In girum Imus Nocte Et Consumimur Igni (1978). Ses films "tiennent" finalement parce que Debord est d’abord un grand йcrivain [11 ]. Mais le commentaire sur la sociйtй du spectacle, aussi lucide soit-il, est souvent teintй de mйlancolie et, finalement, de nihilisme (idem chez Godard d’ailleurs, hйlas pour lui).
Sollers, quand il collabore, dиs 1963, avec Jean-Daniel Pollet pour Mйditerranйe. rend sa pertinence au "commentaire". Mкme si les images ont йtй tournйes (accumulйes) avant qu’il ne s’investisse dans le projet, c’est bien le commentaire de Sollers qui permet le « tri », le montage du film et lui donne son sens (polysйmique) [12 ]. C’est sans doute le souvenir de cette expйrience qui a permis la rйalisation de « La Porte de l’Enfer d’Auguste Rodin ». Je ne sais si le texte de Sollers fut йcrit avant le tournage, mais il est йvident, quand on voit le film et qu’on l’йcoute, que c’est ce texte (lu par Sollers lui-mкme avec une singuliиre intensitй) qui prйside а la rйalisation et au montage des images, le volume sculptural se trouvant restituй grвce а la construction d’un volume sonore polyphonique (la musique du XVIIIe siиcle intervenant en contre-point des musiques sacrйes du Tibet et des chansons populaires). Le cinйma peut-il rivaliser avec la peinture ou avec la sculpture. Oui, si une voix fait entendre, en franзais, la « parole » qui guide la main. Tout un art. Il est rare. Je ne connais pas d’autre exemple.
Allez-y voir vous mкme, si vous ne voulez pas me croire.

La Porte de l’Enfer d’Auguste Rodin

rйalisй par Philippe Sollers et Laurиne L’Allinec

Diffusй sur FR3 dans le cadre de l’йmission Ocйaniques le 27 janvier 1992 [13 ] .


La Porte de l’Enfer (durйe. 43’45" — Archives M.D. - A.G.)

Mozart, Le Requiem dirigй par Neuville Marriner
Haendel, Xerxes dirigй par Charles Mackerras, voix Ann Murray [14 ]
Scarlatti, Sonates pour clavecin interprйtйes par Wanda Landowska
Musiques sacrйes du Tibet

La Marseillaise par Georges Thil
Madame Arthur par Yvette Guilbert

Dante, La Divine Comйdie
Baudelaire, Les Fleurs du Mal
Parmйnide, Le Poиme
Correspondance de Rodin.

La Porte de l’Enfer d’Auguste Rodin

un film conзu et йcrit par Philippe Sollers

Version publiйe dans L’Infini n° 37, printemps 1992 (bandeau du numйro. « Nouvelle saison en enfer »). C’est le texte lu par Sollers dans le film que vous venez de voir, mais avec modification de l’ordre de certains paragraphes. En le lisant et/ou en le rййcoutant, peut-кtre est-il bon de se souvenir de cette phrase de Heidegger dans La parole :

« La pure prose n’est jamais "prosaпque". Elle est aussi poйtique et donc aussi rare que la poйsie. » [15 ]


La Porte de l’Enfer. Photo A.G. 18-02-11.

Comment traverser la mort en envoyant son siиcle en enfer. Ou encore. comment nier les forces d’agrйgation et de dйsagrйgation qui sont dans le temps comme si elles йtaient le Temps, alors qu’elles n’en sont que les grimaces, les convulsions transitoires, la crise nйgative opposйe а l’йternitй physique. Vous qui entrez ici, sachez que la pensйe peut rйpondre. Elle a l’air de se tasser, de s’assombrir, de s’appesantir, elle prend mкme la forme abrupte et rйbarbative d’un chimpanzй concentrй rugueux, mais en rйalitй elle troue, trie, discerne, elle pиse et dissout les figurants de la piиce, elle tient son cerveau dans sa main, elle pense donc elle faзonne immйdiatement son penseur et l’objet qu’il pense. Non, non, il ne s’agit pas d’idйe, de notion, d’opinion, mais de la quatriиme dimension elle-mкme en train d’йvaluer les trois autres comme des ombres. Ici. Maintenant. Dans l’insistant relief du prйsent. On a trouvй l’entrйe, la porte dissimulйe depuis si longtemps au fond du jardin, caverne prйhistorique sous terre ou sous mer, elle ne s’ouvre que pour un seul а la fois, elle va se refermer aussitфt, peut-кtre pour des milliers d’annйes. En vйritй, elle ne s’ouvre mкme pas, on s’y cogne et elle vous renvoie sur-le-champ а l’endroit mйtamorphosй oщ vous кtes. Pensйe d’outre-tombe. Pensйe, par dйfinition, sans tombe.

Passez, sociйtйs, institutions, gouvernements, actualitйs, familles, fantфmes, guerres, intйrкts, dйcors, hiйrarchies, privilиges, prostitutions, inconscients affublйs trompeurs, sexes mйlangйs, morales, prisons, dйclamations, polices, comйdie humaine, trop humaine. Passez, religions, mythes, lйgendes, universel racontar, images, cadrages, rouages, engrenages, йlevages, broyages ; passez, passez, pauvres reproductions enchaоnйes ; disparaissez donc, simulacres sans fin simulйs. la Justice est ici enfin dans son Palais, elle tranche.

« Par moi l’on va dans la citй dolente,
Par moi l’on va dans le deuil йternel,
Par moi l’on va parmi la gent perdue,
La justice inspira mon divin artisan,
Je fus йdifiйe par la toute-puissance,
La suprкme sagesse et l’amour souverain.
Il n’a йtй crйй, avant moi, que les choses
Eternelles, et moi, йternelle, je dure.
Vous qui entrez, laissez toute espйrance. » [16 ]

Parole, sculpture, йcriture, le modelй est une langue qui parle toutes les langues et leurs voix, tous les poиmes et leurs lois, les rйcits racontant la pensйe qui se pense. Nous sommes ici, surprise, en franзais creusant l’italien, le latin, le souvenir de l’hйbreu et le grec. Arche de Noй, dit Rodin lui-mкme. Certes, la Porte peut prendre un aspect terrible, avertissement bouclй, verrouillй. En principe, on ne la franchit qu’une fois mort. Un vivant peut-il malgrй tout y avoir accиs. Par exception. D’accord.

« Il faut ici dйposer toute crainte,
Il faut qu’ici toute lвchetй meure ;
Tu vas voir les foules douloureuses
Qui ont perdu le bien de l’intellect. »

Remarquez, que le guide de Dante pose ici sa main sur la sienne « d’un air joyeux », tout en le faisant pйnйtrer dans « les choses secrиtes ». Vous ne devriez pas voir ce que vous allez voir. C’est vraiment une grвce que l’on vous fait. Un cadeau empoisonnй, peut-кtre. La Porte peut rendre fou, et surtout folle. L’enfer se retourne. Impossible donc de ne pas comprendre que si c’est l’enfer que vous dйsirez, vous l’aurez.

Iliade, Odyssйe, Bible, Evangiles, Enйide, Divine Comйdie, Comйdie humaine, Lйgende des siиcles, Upanishad, Bardo Thodol, Livre des morts йgyptien, Coran, Ramayana, Pйrйgrination chinoise vers l’Ouest. du calme, le nerf de l’йpopйe agit ici en silence. Prйtexte pour que les corps se montrent de tous les cфtйs, groupes, grappes, guirlandes, fresques, mouvements rotatifs, pleins et creux, en cours d’йtreintes et d’extases, de ratages et de dйcomposition, engendrements, sauts, renversements, йcarts, sйduction, corruption, dйvoration — et re-sйduction. Le diable est une fonction dйcouvrable, son puritanisme est fatal sous les Tentations, on le traite de l’intйrieur, adhйsion et dйtachement logique. « La raison cubique. dit Rodin, est la maоtresse des choses, et non pas l’apparence. » Pourquoi en revient-on toujours ici а la question femme. Au duel direct passionnel. Voici les informations, elles sont nettes, jamais on n’aura vu autant de corps fйminins а l’affыt, la sculpture les concerne au plus haut point, duchesses, йlиves, assistantes, danseuses, ouvriиres, bourgeoises, modиles. Le lit de Rodin se projette en porte debout. Gйnie noir cassй de Camille, souffrance de Sophie. thйвtre, cinйma, scиnes. Rodin leur йcrit, par exemple :

« Oh vous, mon amie, vivez dans la nature qui chйrit les femmes de votre вge, et pensez que vous кtes heureuse. »

« Je vous demande et vous ordonne de jouir du beau temps et de prendre des forces. Si vous obйissez, vous savez que cela me rendra content. Il y a toujours votre volontй que vous suivez, faites un peu la mienne. Toujours sans volontй sur vous-mкme, cela est mauvais pour vous et pour moi. »

« Je vis comme je peux et n’ai pas besoin de chagrin. Prenez une force et un caractиre, c’est cela qui peut vous sauver des exagйrations mauvaises. Quel dommage que vous n’obйissiez pas, et quel besoin de vous faire des imaginations. Vous cherchez toujours des scиnes, c’est pour cela que je vous ai dit que vos lettres m’йtaient indiffйrentes. »


Rodin, Balzac. photo Edward Steichen, 1908.

C’est йvidemment toujours la mкme litanie, le mкme mauvais roman tentant de s’approprier, d’entraver, de dйtourner, de fixer la rйvйlation vraie du roman. Eh bien, Rodin continue, il impose sa scиne, c’est un monstre obscиne. La radiographie bronze ou plвtre, vert sombre ou clair, blanc jaune blanc, est alternativement dramatique ou йlйgante, tunnel ou radeau, plaisir dйcidй constant. La pensйe jouit de se savoir jouissance de l’кtre, et tout le monde devrait vouloir qu’il en soit ainsi, mais voilа, la mort, le retour а l’inanimй paraоt prйfйrable aux coupables cherchant des coupables. Rodin est implacablement innocent. Aussi innocent que Sade. Tout est paradis dans son enfer. Les dieux tremblent, les humains qui, malgrй leurs dйnйgations, se prennent pour eux, ne se doutent de rien. Evidemment, ce Balzac souverain qu’on leur jette, а la figure, n’est pas de leur goыt. On sent bien qu’il a la prйtention de remplacer tous les habitants de la planиte. De quel droit. N’est-ce pas un homme. Non. Mais alors qui. quoi. Rodin n’est pas au Panthйon, il est le Panthйon lui-mкme surplombй en acte. La Porte, ne donnant sur rien, dit calmement que l’enfer est ici-bas, chez vous, dans votre faux prйsent de mensonge. Pas d’au-delа ni de spйculation sur lui ; la sculpture est sans au-delа. Ici. Ici mкme. Votre apparition en ce monde a moins de rйalitй qu’un livre ou qu’une statue vivante. Dieu, paraоt-il, a tirй Eve d’une cфte d’Adam. On les sйpare, on les met cфte а cфte, le rйsultat de leur dissymйtrie est la vйritй de la forme. Nous sommes en pleine conjuration, en plein exorcisme majeur. l’enfer, c’est les autres, et vous, parmi eux, en train d’кtre perзu comme un autre. Dans les tкtes, votre effacement est dйjа voulu, boоte squelette classique, urne de cendres йphйmиres.

« Je travaillais alors а ma statue Eve. Je voyais changer mon modиle sans en connaоtre la cause. Je modifiais mes profils, suivant naпvement les transformations successives des formes qui s’amplifiaient. Un jour j’appris qu’elle йtait enceinte ; je compris tout. Les profils du ventre n’avaient changй que d’une maniиre а peine sensible, mais on peut voir combien j’ai copiй la nature avec sincйritй en regardant les muscles des lombes et des cфtйs. »

Les vrais йcrivains, donc, sont des sculpteurs. Dante, dit Rodin,

« parle par gestes aussi bien que par mots ; il est prйcis et complet, non seulement dans les sentiments et les idйes, mais dans les mouvements du corps ».

« Ma seule idйe, c’est celle de la couleur et de l’effet. Il n’y a pas d’intention de classification, ni de mйthode pour le sujet, ni de schйma pour illustrer un dessein moral concentrй. J’ai suivi mon imagination, mon propre sens de la disposition, du mouvement et de la composition. Зa a йtй depuis le dйbut, et ce sera jusqu’а la fin, simplement et uniquement une affaire de plaisir personnel. »

Dante, Balzac, Hugo, mais surtout Baudelaire qui йcrit prйcisйment la position du Penseur :

« Et son ventre et ses seins, ces grappes de ma vigne
S’avanзaient plus cвlins que les anges du mal
Pour troubler le repos oщ mon вme йtait mise
Et pour la dйranger du rocher de cristal,
Oщ calme et solitaire elle s’йtait assise. » [17 ]


Le Penseur. Photo A.G. 18-02-11.

Le Penseur, si elle n’arrive pas а le dйranger, met la matiиre en fureur. Il est inadmissible qu’il se conduise simplement et uniquement en vue de son plaisir personnel. Comment. Le sexe n’est pas un contrat. Il ne doit pas кtre rentabilisй. Qu’il soit donc puni. Mкme pas. Scandale. L’artiste est un profiteur diabolique, un vampire inexcusable, le dйmon des boudoirs oщ il vient philosopher en secret, crayon en main, arriиre-pensйe incessante.

« Un sculpteur donne lentement ses coups d’outil sur une figure couchйe en marbre, car il pense en mкme temps ; les ombres solides qui apparaissent autour de lui sont ses pensйes ; l’image palpable de son imagination qui travaille йvoque, bien qu’il travaille, une autre figure ; c’est ce qui marque pourquoi il n’est pas absorbй par l’oeuvre en train. »

Autrement dit, il est inabsorbable. On ne peut rien non plus lui faire avaler. Le diable est doublй. L’enfer dйdoublй, saquй. Une autre fois, Rodin parle de la « grandeur des Grecs » :

« Il y a un йquilibre, un merveilleux йquilibre et une sйrйnitй dans leur sculpture, non pas la sйrйnitй du style acadйmique qui est l’absence de la nature, mais celle de la force, de la puissance consciente, une impression qui rйsulte de la maоtrise de l’esprit sur la chair. »

Je sculpte, j’йcris, je sculpte ce qui s’йcrit et se vit, je touche а coup sыr le sexe qui est en cause, je montre comment l’erreur sur ce point conduit а la mort, donc je peux reprйsenter la pensйe qui se pense, et comment je peux lui demander, moi, image brouillйe et vite zappйe, si je suis .


Illustrations, L’Infini n° 37, printemps 1992.

Le corps dйlйguй de Rodin est un oeil а main qui vous juge depuis son tombeau factice. Tiens, il y avait а l’йpoque un rйgime social, un empire, une rйpublique, des rйvolutions, des contre-rйvolutions, des passions. Mais, jette Flaubert en privй, « le Phallus est la pierre d’aimant qui dirige toute cette navigation. » On peut, sans insister, noter que Freud, est contemporain de Rodin, et pas le contraire. Que se passait-il, dйjа. Une foule de choses, toutes plus dramatiques et urgentes les unes que les autres. Mais vous savez bien qu’au fond tout йtait, comme d’habitude, plat, bкte, tantфt bon enfant et tantфt canaille, nuisible, nuisant, nuisйeux, ressentimental, cafouilleux. Ah le temps perdu et mal retrouvй, les voyages au bout de la nuit, au coeur du dйlire ; ah les hфpitaux oщ la maladie immortelle dure, s’incruste, crie trиs bas ce que chacun et chacune chuchote lа-haut, — sans parler de l’hystйrie qui tient le bout de la corde et le dйmoniaque dans l’art contre l’art. Un artiste, un йcrivain, йprouve comme rйsistance, la paranoпa du grand dessous, la possession infernale du corps social acharnй а nier ce corps-lа, hic est corpus, oui, prйcisйment celui-lа . pas un autre. On comprend qu’il devienne un spйcialiste de la chute des corps, mais aussi de leur remontйe, gravitation ou lйvitation possible, dans une mise а nu rйpйtйe. La forme-femme est ici centrale, toujours en risque d’idйalisation ou de manipulation marchande, et le pйchй originel n’est rien d’autre. on va donc le sonder par le volume et ses variations. Le pйchй. Il est consentement au poids effondrй, prйfйrence accordйe а l’illusion psychique contre la pensйe. Le psychisme est constamment en rйvolte contre la physique, il souffre de la sculpture, il se sent martyrisй par elle. Question d’кtre. To be or not to be. Mais cette question n’en est pas une en rйalitй, et la plus haute pensйe grecque l’affirme dans une rйvйlation oщ, йtrangement, apparaоt aussi une Porte. « L’кtre est ; le non-кtre n’est pas. »

« Les cavales qui m’emportent m’ont entraоnй
Aussi loin que mon coeur en formait le dйsir,
Quand, en me conduisant, elles m’ont dirigй
Sur la voie trиs parlante de la Divinitй
Qui, а travers les citйs, porte l’homme qui sait. Des jeunes filles nous indiquait le chemin
L’essieu brыlant des roues grinзait dans les moyeux
Jetant des cris de flыtes, les deux cercles des roues tournant vite.
Les filles du soleil, dйlaissant les palais de la Nuit,
Couraient vers la lumiиre en me faisant cortиge,
Ecartant de la main les voiles
Qui masquaient l’йclat de leur visage. Lа se dresse la Porte
Donnant sur les chemins de la Nuit et du Jour
Un linteau et un seuil de pierre la limitent
Quant а la Porte mкme, йlevйe vers le ciel,
Elle est pleine, elle a des battants magnifiques,
Et la Justice aux nombreux chвtiments
En dйtient les clйs dans les deux sens,
Contrфlant le passage. »


Rodin, Le diable ou Milton.
Mine de plomb, estompe, aquarelle et gouache sur papier crиme.
« A quoi pense Le Penseur. А зa. Que contemple,
enfermй en lui-mкme et rejetй en arriиre, le Balzac. зa.
Sur quoi ouvre la Porte de l’Enfer. Sur зa. »
Ph. Sollers, Le secret de Rodin [18 ].

Dans la vision pensante et mobile de Parmйnide, la Porte menant а l’кtre qui est la mкme chose que la pensйe, s’annonce par un afflux fйminin. cavales, jeunes filles, dйesses. Le verrou, grвce aux « caressants propos », va s’ouvrir « un petit instant », faisant basculer les battants dans un « large espace ». Les gonds de bronze pivotent. Le char s’engouffre а toute allure dans cet intervalle, la Dйesse reзoit « avec bienveillance » celui qui a osй emprunter cette voie hors des sentiers communs. Il va savoir et connaоtre « le c ?ur exempt de tremblement de la vйritй bellement circulaire ».
L’кtre est . Il est

« non-nй, indestructible,
tout d’une seule masse,
inйbranlable, non-а-terminer,
tout-entier-tout-а-la-fois-prйsent,
un et d’un seul tenant ».

L’кtre est, tandis que le non-кtre, indicible et impensable, n’est pas. Toute la pensйe et toute l’histoire de la philosophie se jouent en ce lieu. Comme l’a dit un philosophe а propos de Parmйnide :

« Ce qu’on ne se lasse pas d’admirer, ce n’est pas seulement la sыretй naturelle de ce rapport fondamental а l’кtre, c’est aussi en mкme temps la richesse de sa figuration dans la parole et dans la pierre. »

« Ces quelques mots sont lа dressйs comme les statues grecques archaпques. »

« vйritй qui se tient avant toute autre et transparaоt а travers toutes les autres ».


Etude pour la Porte de l’Enfer.
Crayon au graphite, plume et encre,
gouache sur papier. Musйe Rodin.
Photo A.G. 21-01-16.

Rodin, en pleine expansion du nihilisme, a retrouvй lui-mкme, avec sыretй, la voie dйrobйe. Heidegger est contemporain de Rodin, et pas le contraire.

« Mes dessins sont un peu franзais du dix-huitiиme siиcle mais toujours avec un fond de formes qui touche au grec. »

« Maintenant j’ai fait une collection de dieux mutilйs. Ce sont des morceaux de Neptune, de femmes dйesses ;
et tout ceci n’est pas mort, ils sont animйs et je les anime encore plus, je les complиte facilement en vision, et ce sont mes amis de la derniиre heure,
tous de la belle йpoque grecque, car ils viennent de Grиce. »

Le mot impavide signifie « inйbranlable, intrйpide, qui n’a pas peur ». Beaucoup mieux qu’impassible ou imperturbable, il est l’attribut de l’homme dans sa justice, son endurance, sa tйnacitй. Horace. « Justum et tenacem propositi virum ». « Impavidum perenut ruinae ». les ruines du monde le frapperont sans l’йmouvoir. Parmйnide dit :

« Les choses absentes, prends-les par la facultй de penser comme fermement prйsentes, car tu ne scinderas pas l’кtre de sa continuitй avec l’кtre, ni en le dispersant ni en le rassemblant. »

« Peu importe oщ je commencerai, puisqu’en ce lieu aussi je reviendrai. »

Le Penseur, dans sa jouissance d’кtre, indique une rйsurrection toujours dйjа lа. Dieu et le Diable n’y peuvent rien, et encore moins le monde, l’histoire, la sociйtй des ombres hйsitant sans fin entre кtre et non-кtre. Le non-кtre n’est pas. L’кtre est. « Mкme chose sont l’кtre et le penser. » C’est dit, refermons la Porte.

Ph. Sollers, L’Infini n° 37, printemps 1992.

En 1904 Rodin expose а Dьsseldorf 62 sculptures et 170 dessins. En 1992 la ville lui consacre une rйtrospective. Sollers est venu prйsenter son film, La Porte de l’Enfer. Il rend compte de l’exposition dans un texte publiй dans la revue art press en janvier 1993, Le saut de l’Histoire. Extraits.

Rodin а Dьsseldorf


[. ] je venais d’avionner pour l’Allemagne. J’йtais а Dьsseldorf oщ je devais, dans le cadre d’une rйtrospective Rodin а la Kunsthalle, prйsenter le film que j’avais fait sur La Porte de l’enfer. J’avais dйjа remarquй dans les programmes, en me rendant dans cette ville totalement artificielle puisque rasйe et entiиrement reconstruite (je rappelle que c’йtait la ville de Heine), qu’а l’occasion de cette exposition il йtait prйvu six interventions, quatre sur Camille Claudel, une sur le photographe amйricain Mapplethorpe, et une seule sur Rodin, la mienne.
Je visite l’exposition, magnifique, et je remarque que la conservatrice, voulant sans doute йquilibrer les choses, a en effet prйsentй des photos de Mapplethorpe, photos fort intйressantes, а pourcentage homosexuel complet, et qui me paraissent tout а coup vieillir а vue d’oeil, comme si leur force de transgression, qui йmeut encore paraоt-il les cinglйs puritains d’Amйrique, devenaient dйjа des documents d’йpoque, quelque chose de kitsch. А gauche, donc, il y avait Mapplethorpe, et sur la droite on trouvait Camille Claudel. reprйsentйe par quelques sculptures (pas suffisamment si l’on en croit les lettres de protestation reзues par la conservatrice). Inutile de vous dire que le film avec Adjani et Depardieu provoquait un enthousiasme fйminin considйrable ; on se battait а l’entrйe. On ne s’est pas battu а l’entrйe de mon film mais. j’y reviendrai.


Le Balzac de Rodin

Tout а coup, je suis saisi par cette vision, un peu comme aux chiottes, qu’а gauche c’йtait pour men only. qu’а droite c’йtait pour ladies only. et qu’au milieu (dieu sait de quel sexe alors il se trouve кtre !) il y avait Rodin. J’entre а gauche pour voir men ; йtant audacieux j’entre aussi а droite pour voir women, ladies. et puis quand mкme j’entre dans Rodin, qui йvidemment s’йlиve soudain avec une force particuliиre au-dessus de ce qu’il faut bien appeler le choix qu’on est obligй de faire quand on va aux toilettes. Lа, je vois pour la йniиme fois des sculptures de Rodin et comme on ne peut pas s’en lasser, je m’arrкte, par exemple, devant cette extraordinaire reprйsentation du Christ avec la Madeleine qui renouvelle entiиrement la scиne, puis je me dirige vers un des grands Balzac en bronze, ce Balzac en йrection qui se branle de faзon trиs йnergique, et je vois groupйes autour de cette sculpture une masse impressionnante d’Allemandes de tous вges, en train d’йcouter une jeune femme, assez jolie, leur parlant de l’oeuvre en question. Je me fais traduire ses propos ; elle rappelait la carriиre littйraire de Balzac, йvoquait Eugйnie Grandet, Le Pиre Goriot, Les Illusions perdues. Il йtait intйressant, pendant ce temps-lа, d’observer les regards qui allaient de haut en bas de ce Balzac en йrection dans les trois dimensions et en train de se tordre le poignet sur sa bite extrкmement manifeste [Voir aussi. Balzac honorй .] .

Je continuais а me faire traduire par une amie ce qui se disait lа en deutsch et la brave jeune femme finit par dire que dans cette sculpture de Rodin il fallait voir l’hommage que Rodin a rendu а la fйconditй littйraire de Balzac. Tout ceci me paraоt du meilleur goыt, et puis j’aperзois soudain, dans un coin, sous une rotonde, les dessins йrotiques de Rodin que j’ai eu la bonne idйe de publier, il y a quelques annйes [19 ]. Mais, surprise, au milieu de ces dessins йrotiques de Rodin sous rotonde, le « dйcorateur » du musйe (tous les musйes ont maintenant leur « dйcorateur ») avait placй, bien en йvidence, la sculpture qui s’appelle Le Cri . Un visage de femme dйformй par une souffrance inextinguible.


Le cri. musйe Rodin, Paris. Photo A.G. 18 fйvrier 2011.

Une Camille Claudel trиs douloureuse, au centre, hurlante, portant plainte pour l’йternitй. Je m’approche et je vois, ф stupeur. que le sol autour de cette sculpture, elle-mкme au centre des dessins йrotiques, йtait couvert de piиces de monnaie. J’enregistre donc la naissance d’un culte spontanй local. Le sol йtait couvert de marks. Je vois les femmes, largement majoritaires (80 % du public de toutes les expositions), tourner autour des dessins йrotiques avec des airs entendus, en se chuchotant rapidement des choses, puis se prйcipiter vers cette tкte et, lа, sortir leur porte-monnaie pour jeter des marks. Je me fais donc traduire ce qui se passe. Elles disaient toutes а peu prиs la mкme chose en jetant leur piиce de monnaie. Pauvre femme. Comme elle a dы souffrir !

Aprиs la projection de mon film, la discussion est inйvitablement venue sur deux sujets. L’йrotisme, bien sыr (« ah. ah. »), et la question m’a alors йtй posйe de savoir si j’йtais d’accord avec la prйsentation de cette Tкte tenant tкte aux dessins йrotiques. Йtait-ce bien l’idйe de Rodin. En somme, l’йrotisme n’est-il pas toujours angoissant, culpabilisateur. ne mиne-t-il pas а une torture. ne s’agit-il pas toujours d’une chose йpouvantable, d’une violence faite а l’autre. etc. etc.

Comme c’est justement le propos de La Porte de l’enfer de mettre ensemble Йros et Thanatos, avec un penchant tout а fait visible pour Йros, je me suis permis de dire que, moi, j’aurais mis, au centre de ces dessins йrotiques, Balzac, ce qui me semblait une meilleure interprйtation de Rodin. J’aurais mis la Tкte aussi, mais ailleurs, par exemple, pour signifier l’extase orgasmique de la Marie-Madeleine se pressant de toute une nйcrophilie triomphante et jouissante, contre le corps d’un Christ trиs bizarre qui n’a pas l’air de se plaindre de ce qui lui arrive.

Ainsi, j’ai pu vйrifier qu’en Allemagne, Rodin gardait toute sa force d’intervention. Laclos, Courbet, Watteau а New York, Rodin а Dьsseldorf. tout va pour le mieux. Force d’intervention. Oui, les questions rituelles sont donc arrivйes trиs vite. angoisse de l’йrotisme, est-ce que Rodin n’annonce pas Egon Schiele. Autrement dit. est-ce que tout cela se passait а Vienne. Comme d’habitude, je rйponds calmement que non, que c’йtait bien а Paris que зa avait lieu, qu’il y avait lа Rodin, ensuite Picasso, Matisse, Stravinski, James Joyce, Marcel Proust, Louis-Ferdinand Cйline.


« D’oщ sortent tant de bustes, de mains,
de jambes et de gestes, de visages tendus,
de couples musculeux, de demi-dieux
ou de dйesses emportйes. De зa. »
Ph. Sollers, Le secret de Rodin [20 ].

Depuis le temps que je le rйpиte (зa doit bien faire trois siиcles). Je peux d’ailleurs me rйpйter indйfiniment, d’abord parce que c’est vrai, ensuite parce que c’est amusant de voir а quel point c’est difficile а accepter pour d’autres. А partir de lа, comme j’avais placй Rodin sous l’invocation de Parmйnide, en faisant un petit croche-pied а Heiddeger en passant pour dire, d’une faзon йgalement trиs simple, que s’il y avait des Grecs, ce n’йtaient pas les Allemands mais les Franзais (m’appuyant lа-dessus sur le diagnostic radical de Nietzsche — Nietzsche parlant de Voltaire dans Humain trop humain ou dans Ecce Homo. affirmant qu’il n’y a pas plus grec que lui), j’ai vu venir, parce qu’il y avait dans la salle des philosophes, les questions sur cette affaire Parmйnide, Heidegger.

VOIR AUSSI

a-t-on le droit, de reprendre Parmйnide, а la franзaise . comme Grec fondamental [21 ]. interrogation intйressante qui m’a permis une constatation toute simple. alors qu’il est tout а fait normal, en Allemagne, de parler de Heidegger, en revanche il s’est trouvй un Allemand qui, а cause de sa francophilie fanatique, est quasiment interdit de sйjour dans le discours, et c’est Nietzsche. Comme si Nietzsche portait sur ses йpaules tout le poids de la Deuxiиme Guerre mondiale et de la culpabilitй qu’elle a entraоnйe. C’est йtrange, plus je voulais parler de Nietzsche et plus c’йtait impossible. On pouvait parler de Heidegger et d’Egon Schiele, mais pas de Rodin et de Nietzsche. Nietzsche aurait d’ailleurs trиs bien pu voir les sculptures de Rodin s’il йtait venu а Paris, ils sont strictement contemporains. Il y a deux Allemands qui ont vu l’йmergence du phйnomиne et sa profondeur, et visiblement ils n’ont pas la cote chez eux. Je veux parler de Rilke et de Nietzsche, deux personnages tout de mкme trиs considйrables. J’ai, une fois, de plus vйrifiй sur place que cette question franзaise a tout l’avenir devant elle puisqu’elle a pour elle le passй. [. ]

Ph. Sollers, Le saut de l’Histoire (extraits),
rйponses а des questions de Jacques Henric,
art press spйcial « 20 ans », janvier 1993.
Йloge de l’infini. folio, p. 905-910.

La Porte de l’Enfer

Pour voir les photographies cliquez sur la premiиre image


La Porte de l’Enfer — Au milieu. Ombres, Le penseur — A droite. L’homme qui tombe.
A gauche. le haut de La Porte — Au milieu et а droite. Ugolin et ses enfants ; Paolo et Francesca (vantail gauche).
Je suis belle ; Homme qui tombe — Nu fйminin dit l’Aube — Tкte de la douleur ; Amants.
A gauche. Amour — A droite. Vieillard assis ; Adolescent dйsespйrй (vantail droit).
Photographies A.Gauvin, 18 fйvrier 2011.

Parc du musйe Rodin, Paris


Rodin, Les trois ombres .
Photo A.G. 24-09-16. Zoom. cliquez l’image.

De La Porte de l’Enfer а la Porte de Parmйnide

En 2000, Sollers, dans ses entretiens avec Benoоt Chantre, revient sur Dante, La Porte de l’Enfer de Rodin, la Porte de Parmйnide. C’est, par ailleurs, l’annйe du Grand Jubilй oщ le pape Jean Paul II a poussй, selon une tradition qui remonte а 1450, une autre porte, la Porte de Saint Pierre. Le pape avait soulignй dans Tertio millennio adveniente l’importance particuliиre de la Porte Sainte dans le Jubilй de l’An 2000. « La Porte Sainte du Jubilй devra кtre symboliquement plus large que les prйcйdentes car l’humanitй, arrivйe а ce terme, laissera derriиre elle non seulement un siиcle mais un millйnaire. » [22 ].


La Porte de l’Enfer.
dйtail du linteau, partie droite. Musйe Rodin, Paris.

Benoоt Chantre. — Je voudrais maintenant йvoquer de faзon plus prйcise votre propre rapport а Dante, dont vous avez toujours йtй un lecteur particuliиrement attentif. Votre premier texte sur lui, « Dante et la traversйe de l’йcriture », date de 1965 [23 ]. Vous dites en 1978, dans Vision а New York. que le temps est venu de « recreuser Dante en profondeur » ; vous йvoquez en 1987, dans Le Coeur absolu. le projet fictif d’un film sur Dante (que des commanditaires japonais essaient d’obtenir du narrateur, un certain Ph. S. ) ; ce projet devient rйalitй en 1991, а l’occasion de la fonte de la sixiиme Porte de l’Enfer de Rodin, commandйe par la prйfecture de Shizuoka au Japon. vous rйalisez alors un vrai film, cette fois, entiиrement consacrй а la Porte de Rodin. Tout se passe comme s’il йtait pour vous de plus en plus urgent de rouvrir La Divine Comйdie. A quoi prйcisйment cela tient-il ?

Philippe Sollers —« Rouvrir » est le mot qui convient. non pas en curieux, en йrudit, en touriste, mais bel et bien pour montrer que, sept siиcles aprиs, cela pourrait se lire de faзon prйsente. Comme si cela n’avait jamais cessй d’кtre rйellement actuel. Il y a donc un double mouvement. La Divine Comйdie se referme avec les reprйsentations qu’elle contient et en mкme temps qu’elle se referme, elle s’ouvre а un questionnement multiple. On ferme une porte — encore faut-il le prouver — et on en ouvre une autre, ou bien c’est la mкme porte qui tourne pour s’ouvrir une deuxiиme fois, au moins. Pour cela, donc, il aura fallu tout ce temps. [. ]

Quelle obstination il a fallu а Rodin pour traiter son Dante. Il s’appelle Balzac, mais ce n’est pas le problиme. On aurait mis Dante au carrefour Vavin, cela n’aurait pas de signification. Mais Balzac. Vous savez que cette sculpture a provoquй un tollй, c’йtait un blasphиme extraordinaire. Lа, nous revenons а l’Unique. Balzac йtait la propriйtй commune, il йtait nationalisй. La Sociйtй des gens de lettres. Tout а coup, on se demande ce qui arrive а Rodin. Il a simplement, lui aussi, suivi cette interpellation de Dante. Mais enfin, dans notre XIXe siиcle, nous n’avons rien d’autre que l’enfer. La plastique infernale des reprйsentations travaille beaucoup les cerveaux. Aurais-je йtй le premier — j’en serais surpris — а insister sur le paradis. Ce n’est pas exclu. Vous vous rendez compte de la mise.

Benoоt Chantre — Visionnons, si vous le voulez bien, les premiиres images de votre film. La camйra, sur fond de musiques tibйtaines, remonte lentement la Porte de l’Enfer de Rodin. « Comment traverser la mort en envoyant son siиcle en enfer. (vous entend-on dire soudain, tandis que vous кtes filmй de loin, assis sur les marches de la demeure de Rodin а Meudon, derriиre la statue du Penseur йlevйe sur la tombe qui vous fait face).

Ou encore. comment nier les forces d’agrйgation et de dйsagrйgation qui sont dans le temps comme si elles йtaient le Temps, alors qu’elles n’en sont que les grimaces, les convulsions transitoires, la crise nйgative opposйe а l’йternitй physique. Vous qui entrez ici, sachez que la pensйe peut rйpondre.

(le spectateur est maintenant devant la photo de la tombe ouverte de Rodin, entourйe d’une foule immense, le 24 novembre 1917, le Penseur semblant contempler la bйance oщ va bientфt reposer son auteur)

Elle a l’air de se tasser, de s’assombrir, de s’appesantir, elle prend mкme la forme d’un chimpanzй concentrй rugueux, mais en rйalitй elle troue, trie, discerne, elle pиse et dissout les figurants de la piиce, elle tient son cerveau dans sa main, elle pense, donc elle faзonne immйdiatement son penseur et l’objet qu’il pense. Non, non, il ne s’agit pas d’idйe, de notion, d’opinion, mais de la quatriиme dimension elle-mкme en train d’йvaluer les trois autres comme des ombres. Ici. Maintenant. Dans l’insistant relief du prйsent. On a trouvй l’entrйe, la porte dissimulйe depuis si longtemps au fond du jardin, caverne prйhistorique sous terre ou sous mer, elle ne s’ouvre que pour un seul а la fois, elle va se refermer aussitфt, peut-кtre pour des milliers d’annйes. En vйritй, elle ne s’ouvre mкme pas, on s’y cogne et elle vous renvoie sur le champ а l’endroit mйtamorphosй oщ vous кtes. Pensйe d’outre-tombe. Pensйe, par dйfinition, sans tombe. »

Est-ce bien la porte de l’enfer, celle dont vous dites qu’« elle ne s’ouvre que pour un seul а la fois » et « en vйritй, ne s’ouvre mкme pas » (car, apprend-on un peu plus loin dans le film, « l’enfer est ici-bas, dans ce faux prйsent de mensonge »). Je pense, plutфt, Dante en tкte, а la seconde porte, celle du Purgatoire, pas plus large, au premier coup d’oeil, qu’une brиche dans le roc, assez large, cependant, pour que nous puissions y passer quand mкme.

Ph. S. — Tout а fait. Le purgatoire est une idйe catholique — Le Goff en a montrй la construction [24 ] — qui йtait devenue nйcessaire pour desserrer l’idйe d’un fatum. pour donner du temps au temps de la purification. Je crois que le purgatoire dйsormais ne nous parle plus. Il ne nous parle plus maintenant, sept ou huit siиcles aprиs. Puisque c’est le lieu du monnayable, ou si vous prйfйrez des indulgences, de la transaction. C’est le lieu oщ va merveilleusement s’exprimer aussi la sublimation, c’est-а-dire l’art. toutes les mйtaphores, dans cette seconde partie du poиme, sont sur l’art. Si on a une trиs haute idйe de l’art, on ne peut que trouver tout cela sublime. Mais lа, nous sommes pressйs par la situation. C’est l’enfer ou ce n’est pas l’enfer. Il n’ y a pas le temps de purger. Voilа ce que je ressens. Ce sermon, car c’en est un, est lа pour faire sentir aux somnambules qui sont prйsents, qu’ils n’auront pas la possibilitй de se purifier. Il faut qu’ils se rйveillent ou qu’ils choisissent de dormir. « Je suis la voix du rйveil dans la nuit йternelle », comme dit le texte gnostique fameux. Quelqu’un vient de m’йcrire que depuis Maоtre Eckhart [25 ]. j’йtais le seul йcrivain gnostique consйquent (rires). C’est la raison pour laquelle j’en viens а Parmйnide. А quoi me fait penser la porte. Il y en a une, et elle est lа. dans le poиme de Parmйnide [26 ].


Le Penseur. 1902-1904. Bronze 187x98x145 cm.
Offert а l’Йtat et inaugurй devant le Panthйon en 1906. Remis au musйe Rodin en 1923.
Photo A.G. 18 fйvrier 2011.

B. C. — Vous quittez en effet l’univers de Dante pour celui des Grecs en йvoquant tout de suite la figure du Penseur, anticipant ainsi sur l’йvocation finale de la Porte de l’Кtre dans le poиme de Parmйnide. Seul le Penseur, suggйrez-vous de faзon trиs habile, en exploitant la figure clй de Rodin, peut faire pivoter les lourds gonds de bronze. La Porte de l’Кtre, par laquelle s’engouffrent le char et les cavales de Parmйnide, ouvre sur le « coeur sans tremblement de la vйritй bellement circulaire », l’Кtre « non nй », « non pйrissable », sphиre parfaite, entiиrement close sur elle-mкme, enchaоnйe par le Destin pour rester unique et immobile. Nous sommes donc, nous qui discourons sur la porte de l’enfer, en train de passer de Dante aux Grecs — qu’il ne connaissait qu’indirectement —, mais aussi du nйant (impensable) а l’Кtre qui ne fait qu’un avec la pensйe. Raccourci saisissant. Mieux encore, pour reprendre avec vous Heidegger mйditant Parmйnide [28 ]. nous voilа appelйs par la Vйritй а entrer dans l’ouverture de l’Кtre indissociable de sa propre rйserve ; en d’autres termes, а ouvrir une porte qui ouvre sur sa propre clфture. La Vйritй, « en portant l’йtant а la dйcouverte. йcrit Heidegger, йtablit dиs l’abord l’Кtre dans son couvert ». Ce retrait de l’Кtre dans tout йtant, c’est-а-dire dans toute apparition, dans toute йclaircie qui nous livre le monde, nous attire et nous pousse а le suivre, comme ces вmes qui, au Purgatoire de Dante, se purifient dans les eaux du Lйthй.

Ph. S. —Aletheia [29 ]. Oui. Depuis toujours, ce qui m’attire dans ce qu’on appelle superficiellement la littйrature, c’est une conviction de plus en plus fondamentale. Il s’agit, de faзon palpable, de ce qui йchappe а la mйtaphysique, tout en vivant au plus profond d’elle, comme ce qu’elle s’empresse de nйgliger, de rabaisser, de corseter, d’oublier. Cette longue histoire du nihilisme, qui est l’histoire mкme de la mйtaphysique, il ne s’agit pas de l’ignorer, mais de se l’approprier pour savoir ce qui la travaille de l’intйrieur depuis toujours et ce qui la dйborde sans cesse. Et il ne s’agit pas de faire une histoire de la littйrature et de l’art sous couvert d’йvaluations mйtaphysiques, mais d’aller bien chaque fois а l’exceptionnel de tel ou tel individu ayant fait signe depuis cette histoire. Voilа ce qui me passionne. Et vous savez bien que, quel que soit le discours que je tiens, qu’il soit sous forme de fiction ou sous forme d’essai, c’est cela qui me retient. Il y a une violence constante de la mйtaphysique, puisque c’est de cet oubli de l’Кtre qu’elle se constitue. Il y a une violence constante sur ce qui s’йclaire а partir de la littйrature, de la poйsie et de l’art — que ce soit la musique, la peinture ou la sculpture. Je ne me sens prйsent en ce monde qu’au moment oщ quelque chose appelle dans cette direction d’une histoire irrйductible de la chose elle-mкme, de la proximitй elle-mкme, toujours recouverte par les systиmes, les idйologies, les engagements collectifs. Je vais vers cette ouverture, vers ces portes qui alors deviennent multiples — c’est une faзon de faire ressentir qu’il n’y a pas qu’une porte, ou plus exactement que s’il y en a une, elle va faire de l’Un quelque chose de tout autre, puisqu’il y aura а chaque fois une aventure singuliиre qui mиne par diffйrents chemins, lesquels ne sont pas tracйs а l’avance et ne sont certainement pas lа pour nous dire que tous les chemins mиnent а Rome, pas plus qu’ils ne mиneraient а l’Кtre. Il vaudrait mieux se mettre dans la position d’un « chemin qui ne va nulle part » pour saisir tout а coup l’emportement qui peut arriver sur ce chemin oщ se perdent la plupart des mortels parce qu’ils veulent qu’il aboutisse idйologiquement а un but.


Voir Illuminations - A travers les textes sacrйs .

Vous avez remarquй que Parmйnide donne son aventure sous forme de l’йlection et de l’expйrience. II ne s’agit pas d’oublier ces cavales qui tout а coup emportent celui-lа, « aussi loin que veut le porter son dйsir », а l’exception des mortels.

B. C. —. guidй par la divinitй qui n’est autre que la Vйritй.

Ph. S. — Accueilli par elle. Lа il nous faut entendre le fait qu’un certain risque a йtй pris. Il se rйvиle que « l’Кtre est » et que le « non-Кtre n’est pas ». Comme il faut toujours que nous ayons une pincйe d’humour dans ce que nous disons, je me rappelle qu’aprиs la projection du film sur Rodin, une journaliste cйlиbre — dont je ne donnerai pas le nom [30 ] — a cru pouvoir йcrire, dans un magazine, qu’on entendait des choses du genre. « L’Кtre est, le non-Кtre n’est pas. » Son commentaire ironique a йtй simplement. « Certes », comme s’il s’agissait d’une йvidence. Pourquoi y a-t-il quelque chose plutфt que rien. Oui, et alors. On dit que l’Кtre est et que le non-кtre n’est pas, et cela йtonne comme une йvidence, alors que rien n’est moins йvident. Seulement, avec cette pensйe, on a produit des bibliothиques entiиres, et notamment ce que l’on peut considйrer comme l’histoire de la philosophie.

Le dessein est de montrer que c’est rйcemment que ce rassemblement du multiple irrйductible se proposerait а nous comme appel. J’ai commencй par Dante. II n’est pas le seul. Mais c’est un angle. J’en rajoute, puisqu’il faut que je saisisse ce qui a pu arriver а Rodin а la fin du XIXe siиcle, se mettant, non pas verbalement, mais en pleine matiиre de modelage, en contact avec la question de savoir ce que c’est que penser. Il est trиs йtonnant, а mon avis, que ce soit а travers ces interpellations plastiques, а travers l’йnorme archive de la musique, а travers la bibliothиque tout entiиre, de la plus ensoleillйe а la plus sombre, que le fait de penser se soit posй lа oщ il y aurait eu assurance ou certitude de pouvoir atteindre la vйritй sans s’y impliquer. « Tout le monde peut avoir la vйritй. dit quelque part Kafka. mais tout le monde ne peut pas l’кtre. » Il faut dire que tout le monde croit avoir accиs а la vйritй. Mais quant а l’ кtre . c’est une autre affaire.


La Porte Sainte, Saint Pierre de Rome.
Photo A.G. 28 juin 2015.

Et lа, nous avons des questions а poser, а l’histoire de la philosophie, comme а celle de la religion ou des religions. Que de crimes commis en leur nom. Puisque vous avez commencй par l’ouverture de la Porte du Jubilй [31 ]. considйrez avec moi que nous sommes au moment oщ ce pape revient d’Israлl. Chaque chose arrive а son heure. Et nous sommes donc contemporains de cet йvйnement. C’est йvidemment une autre position que d’en faire le reportage, les photographies, les images tйlйvisйes, ou les йvaluations politiques. Vous avez dйjа pu apprйcier comme moi l’effort de ce pape, vous pouvez l’anticiper en le souffrant, d’une certaine faзon, puisqu’il ne faut jamais oublier que c’est un corps qui porte avec lui toute cette histoire et qui est lа, fatiguй. Mais, en mкme temps, il faut essayer de savoir ce qui se passe en lui. Nous sommes trиs loin de ce que Dante aurait jamais pu imaginer, c’est-а-dire un pape, la catholicitй tout entiиre, planйtaire — sinon, cela n’a pas beaucoup de sens —, franchissant les siиcles pour arriver lа. Quand je dis catholicitй, j’introduis immйdiatement une polйmique avec ce qui est arrivй au catholicisme franзais. une certaine histoire qui, а mon avis, a fermй plus qu’ouvert la question de l’absence de Dieu, en le maintenant dans une prйsence йtroite. Alors que Dieu devrait кtre le comble d’une ouverture tout en restant cachй, sa « manifestetй » n’a plus, depuis fort longtemps, aucun besoin de se signaler par une apparition quelconque.
Quoi qu’il en soit, toujours dans mon cheminement de rassemblement, de recueil, le fait d’introduire Parmйnide dans Dante, via la plasticitй et la transformation de l’image du corps qui se produit dans la deuxiиme moitiй du XIXe siиcle et au XXe siиcle, est йvidemment une opйration qui vise а faire sortir ce corps de sa reprйsentation inefficace et, en lui donnant une autre dimension, а кtre fidиle au projet de Dante tout en faisant appel а ce qu’il n’йtait pas en mesure, dans son temps, d’apercevoir. C’est ce qui fait de notre aventure dans le temps quelque chose de rйcent. C’est du moins ainsi que je l’йprouve. Cet Кtre-dans-le-temps, ou ce temps nouveau dans l’Кtre, bien diffйrent de toute reprйsentation d’une йternitй en cours de stock, qui se contenterait d’кtre l’essence du temps, me paraоt ouvrir en effet sur une richesse extraordinaire, paradoxale, puisque, au contraire, tout impliquerait aujourd’hui, dans la souverainetй de la technique et dans le fait que la sociйtй soit devenue le subjectivisme absolu, une fermeture de plus en plus sensible. Nous sommes dans ce dйtroit du temps oщ ce qui compte n’est plus le fait que Dieu soit mort ou qu’il n’existe pas, que tout nous soit permis — cela, c’est une affaire nietzschйenne ou dostoпovskienne. Nous sommes dans ce dйtroit du temps oщ, en effet, « plus le pйril s’accroоt, plus croоt en mкme temps le salut ». Cette double croissance est trиs йnigmatique — c’est le vers de Hцlderlin que Heidegger rappelle sans cesse [32 ] Ce n’est pas une citation en l’air, c’est quelque chose qu’il faudrait йprouver constamment pour dire que c’est une formule qui va au fond de notre temps. Notre temps. plus c’est fermй, plus зa s’ouvre. Plus c’est impossible, plus c’est possible.

B. C. — Heidegger utilise l’image photographique, oщ nous aurions, d’un cфtй, comme pфle nйgatif, le Gestell. l’arraisonnement du monde а la technique, et, de l’autre, l’Ereignis. l’йvйnement qui en serait la rйvйlation.

Ph. S. — Absolument. L’image va mкme assez loin. le nйgatif, le tirage. Alors, bien entendu, cela se simplifie а un tel point que, par la mкme occasion, c’est en mкme temps d’une complexitй inouпe. Nous, mortels, sommes mortels parce que nous avons affaire а la mort en tant que la mort. Cela veut dire aussi que ce passage par la mortalitй est rйellement ce qui, de plus en plus, nous serait rendu impossible — la mort se transformant en propagande inlassable du mourir, ce qui n’est pas du tout la mкme chose.

Ph. S. — C’est-а-dire ce qui se donne comme insignifiant dans le fait de mourir comme simple « remplaзabilitй » maоtrisйe. Vous connaissez ma polйmique а ce sujet. Vous avez le marchй financier qui clignote sans cesse, et vous pouvez faire passer cela en continu, avec l’irrйalisation de la mort sous forme du mourir insignifiant, c’est-а-dire du massacre а longueur de temps. C’est bien cette situation-lа qui nous tient, а laquelle il faut essayer de rйpondre. Pour y rйpondre, il nous faut, je crois, nous mettre dans la position personnelle des rйponses antйrieures (que sont les portes de Dante. qu’est-ce que l’enfer, et le paradis par la mкme occasion ?), en allant vers quelque chose de plus initial, pas quelque chose de plus originel, mais simplement de plus initial, c’est-а-dire qui n’a pas atteint son plein commencement ou auquel on a fait subir un commencement forcй. C’est l’histoire de la mйtaphysique, si vous prйfйrez. Qu’est-ce que la Porte chez Parmйnide. Entre-temps, j’ai affaire а la Porte du Jubilй. Oщ est-elle. La Porte, elle est partout et elle n’est nulle part. Vous n’allez pas commйmorer dans un lieu donnй la Porte du penseur de Parmйnide. Il n’y a pas, que je sache, une stиle, un temple que l’on va visiter, oщ il y aurait une porte.

B. C. —. et la trace des cavales.

Ph. S. — La trace des cavales (rires). On pourrait faire зa au cinйma. Vous n’avez pas non plus l’endroit exact oщ nous commйmorerions l’entrйe de Dante. En revanche, nous avons beaucoup d’йglises, de monastиres, de chapelles, de lieux saints, de ceci, de cela, et mкme — ф comble. — un Saint-Sйpulcre oщ vous кtes censй cйlйbrer le vide sur place, ce qui va tout de mкme trиs loin.
« Les morts, les pauvres morts, ont de grandes douleurs », la pire йtant sans doute celle d’кtre assignйs а un lieu. C’est une obsession familiale. Les familles — on s’en rend compte quand la mort de l’un de ses membres survient — sont constituйes d’intйrкts extrкmement mйdiocres, dans le partage des biens, et lа se dйnouent des enfances illusoires. Les familles sont lа, mкme lors d’incinйrations urnйes, pour faire caveau commun. C’est dans cette redoutable « biologisation » du temps que parfois un poиte, un peintre, un sculpteur ou un musicien surgit. Il surgit d’autant plus que, dans un premier temps, personne n’y comprend rien ou n’y fait attention. Il surgit pour signaler cette erreur, а savoir l’assignation du vivant а sa tombe. Comme respiration de temps, on peut dire que c’est court. Je ne parle que de cela dans Paradis.

B. C. — C’est ce qui me faisait vous dire que l’enfer est vide — ou, plus prйcisйment, qu’il se vide dиs que surgit une parole de vйritй, si tant est, bien sыr, que la mйtaphore spatiale soit fondйe.

Ph. S. — Habiter en poиte n’est pas une question de logement, de pays, de nation, de paysage. Ce n’est pas dans tel ou tel lieu — encore que, dans certains lieux, on peut йcouter plus intensйment que dans d’autres. Pour dire que l’enfer est vide, il faut s’entendre. Il ne faudrait pas qu’il y ait un malentendu sur le « vide ». Si l’enfer est vide, il n’y a pas d’enfer. C’est trop vite dit. La passion des mortels, c’est de faire кtre le non-кtre. C’est leur obstination qui est tout а fait fanatique. Ils s’acharnent sur le fait que le non-кtre soit. On peut l’observer en clinique psychiatrique, psychanalytique. Vous avez posй la question de savoir si l’enfer contenait ou non quelque chose. Vous avez donc posй une question spatiale. Personnellement, je pose la question selon le temps. Chez Dante, il y a un temps de l’enfer, un temps du purgatoire et un temps du paradis. Ce ne sont pas les mкmes. Si je dis que nous sommes tantфt en enfer, tantфt au purgatoire et tantфt au paradis, vous allez remarquer des flux trиs diffйrents. Si je vous dis que vous, Chantre — trиs beau nom —, vous кtes tantфt en enfer, tantфt au purgatoire, tantфt au paradis, vous allez me rйpondre que vous кtes pourtant bien le mкme. Oui, mais de quel « mкme » s’agit-il ?


Femme nue sur le dos et de face, bras et jambes repliйs et йcartйs.
Mine de plomb, estompe et aquarelle sur papier crиme. D. 6187 [33 ] .
« Rodin, jupitйrien sous forme d’une pluie d’ondes,
les pйnиtre de toutes parts, ces mortelles ou demi-mortelles,
il se situe exactement а l’intersection de leur jouissance et du trait.
Il est donc а la fois prйsent et absent de la sйance,
d’autant plus prйsent qu’il y est absent.
S’il fallait en choisir une, ce serait le numйro 6187. »
Ph. Sollers, Le secret de Rodin [34 ].

C’est pourquoi Une saison en enfer est un petit livre si important [35 ]. Une saison, pas plus. « Avril-aoыt, 1873 ». Le texte se termine ainsi. « — et il me sera loisible de possйder la vйritй dans une вme et un corps. » Ce n’est pas. dans une вme et dans un corps, mais « dans une вme et un corps » [36 ]. « Loisible », vous entendez ce mot. Il n’est plus employй.

B. C. — Matisse l’employait encore.

Ph. S. — « Loisible de possйder ». Cette dйclaration est extraordinaire. C’est dans cet intervalle-lа que Rodin va trиs vite venir se placer [37 ]. que Cйzanne arrive, que Manet a dйjа eu lieu. Baudelaire est mort, Lautrйamont a dйjа йcrit ses Poйsies. la IIIe Rйpublique est lа, dans ce pays qu’on appelle la France. Rimbaud est quelqu’un qui vous dit en franзais — et quel franзais. Pascal, Rimbaud. — qu’il n’a plus rien а dire а ses contemporains de la IIIe Rйpublique. C’est juste aprиs la Commune. Nous entrons lа tout de suite dans une prйcipitation historique qui, а mon avis, est toujours mal perзue, enseignйe а tort et а travers.
C’est si vrai — puisque nous parlions tout а l’heure de photographie — que c’est maintenant, peut-кtre, que l’on peut se poser la question de savoir ce que signifient ces photographies de la Commune. Pas dans l’emportement rйvolutionnaire, et encore moins dans la fiиvre de la rйpression. Ces temps arrivent vers nous, tous ces temps. Nous sommes expropriйs du temps et, en mкme temps, ce temps dйbordй s’adresse а quelques-uns que je ne connais mкme pas, mais dont je prйsume qu’ils existent dans ce qui ne mйrite mкme plus le terme d’йpoque. C’est pour cela qu’on nous parle de la fin de l’histoire. Ce n’est pas l’histoire qui est finie, ou bien c’est l’histoire du fini qui est finie. Nous sommes dans cette grande urgence du temps et nous sommes lа en position de responsabilitй accablante. Si tout est bouclй et que j’entends un appel qui me dit que c’est tout le contraire, je me trouve dans une position de trиs grand vertige.

B. C. — C’est-а-dire que vous quittez l’enfer et que vous accйdez au purgatoire, ou au paradis, pour reprendre la mйtaphore de la « saison ».

Ph. S. — Si nous йtions au temps de Dante, je l’йcrirais comme зa. Nous passons sans cesse d’une temporalitй а une autre. C’est la raison pour laquelle c’est l’instant qui va devenir la vraie mesure — sans mesure — du temps. [. ]

Philippe Sollers, La Divine Comйdie ,
entretiens avec Benoоt Chantre, 2000.

IL Y A UN SIИCLE ET PLUS.

Pour Octave Mirbeau, Rodin a йtй, avec Monet, l’un des « grands dieux de [son] coeur ». А partir de fйvrier 1885, oщ il prйsente, dans La France. La Porte de l’Enfer. il lui consacre une dizaine d’articles enthousiastes et participe а toutes ses grandes batailles, notamment а l’occasion du scandale du Balzac. en 1898. Il йcrit le 15 mai 1898. « N’ayant pas, sous les yeux, le modиle vivant, il s’agit pour l’artiste, non d’une ressemblance photographique, mais de quelque chose de plus grand, de plus vrai, d’une interprйtation, l’interprйtation humaine d’un gйnie [Balzac] par un autre gйnie [Rodin]. La statue sera en quelque sorte la synthиse de l’oeuvre formidable par l’homme. » Il voit en lui le successeur de Michel-Ange annoncй par Stendhal, qui a su exprimer la vie par le mouvement et synthйtiser les sentiments humains les plus poignants et le tragique de l’humaine condition. Plus que tout autre, Mirbeau a contribuй а la gloire du gйnial statuaire, qui lui йcrit, reconnaissant, en 1910. « Vous avez tout fait dans ma vie, et vous en avez fait le succиs. » [38 ]

A propos de la Porte de l’Enfer

Mirbeau par Rodin

Le sujet choisi par l’artiste est L’Enfer du Dante. Il est encadrй par d’exquises moulures dont le style appartient а cette йpoque indйcise et charmante qui va du gothique а la Renaissance, йpoque gardant le mysticisme de l’un et l’йlйgance paпenne de l’autre.

C’est parmi les cercles effrayants tracйs par le poиte florentin dans les flammes qui ne s’йteignent jamais et les laves qui bouillonnent toujours qu’il a laissй errer librement son imagination. Outre des groupes importants, cette vaste composition lyrique comporte plus de trois cents figures, toutes diffйrentes d’attitude et de sentiment, exprimant chacune, synthйtiquement, une forme de la passion, de la douleur et de la malйdiction humaines. En examinant ces bouches tordues, ces poings convulsйs, ces pointures haletantes, ces masques йperdus le long desquels coulent des larmes sans fin, il semble qu’on entend retenir les cris de la Dйsolation йternelle.

Au-dessous du Chapiteau de la porte, dans un panneau lйgиrement creusй en voыte, figure Dante trиs en saillie et se dйtachant complиtement sur le fond, revкtu de bas-reliefs qui reprйsentent l’arrivйe aux enfers. Sa pose rappelle un peu celle du Penseur de Michel-ange. Le Dante est assis, le torse penchй en avant, le bras droit reposant sur la jambe gauche, et qui donne au corps un inexprimable mouvement tragique. Son visage, terrible comme celui d’un dieu vengeur, s’appuie lourdement sur la main qui s’enfonce dans la chair vers le coin des lиvres refoulйes ; et ses yeux sombres plongent dans l’abоme d’oщ montent des vapeurs sulfureuses avec la plainte des damnйs.


Ugolin et ses fils, plвtre, musйe Rodin.

Les battants de la porte sont divisйs en deux panneaux sйparйs chacun par un groupe, formant en quelque sorte marteau. Sur le battant de droite, Ugolin et ses fils ; sur celui de gauche, Paolo et Franзoise de Rimini . Rien de plus effrayant que le groupe d’Ugolin (voir ci-contre). Maigre, dйcharnй, les cфtes saillant sous la peau que trouent les apophyses, la bouche vide et la lиvre molle, d’oщ semble tomber, au contact de la chair, une bave de fauve affamй, il rampe, ainsi qu’une hyиne qui a dйterrй des charognes, sur les corps renversйs de ses fils dont les bras et les jambes inertes pendent зa et lа dans l’abоme.

A gauche Franзoise de Rimini, enlacйe au corps de Paolo, fait le plus suave et le plus tendre contraste а ce groupe qui synthйtise les horreurs de la faim. [. ] Au-dessus des groupes, Rodin a composй des bas-reliefs sur lesquels se dйtachent des figures en ronde-bosse, des scиnes en demi-bosse, ce qui donne а son oeuvre une perspective extraordinaire. Chaque battant est couronnй par des masques tragiques, des tкtes de furies, des allйgories terribles ou gracieuses des passions coupables. Au-dessous des groupes, des bas-reliefs encore, sur lesquels saillent des masques de la douleur. Le long du fleuve de boue, des centaures galopent, emportant des corps de femmes qui se dйbattent, se roulent et se tordent sur les croupes cabrйes ; d’autres centaures tirent des flиches sur les malheureux qui veulent s’йchapper, et l’on voit des femmes, des prostituйes, emportйes dans des chutes rapides, se prйcipiter et tomber, la tкte dans la fange enflammйe.

Le 28 juin 1902, Rainer Maria Rilke йcrit а Rodin (il a vingt-six ans, Rodin soixante et un) :

« J’ai entrepris d’йcrire pour les nouveaux arts monographiques allemands, publiйs par le professeur Richard Muther, le volume dйdiй а votre oeuvre. Un de mes plus ardents dйsirs a йtй accompli par lа, car, l’occasion d’йcrire sur vos oeuvres est pour moi une vocation intйrieure, une fкte, une joie, un grand et noble devoir, vers lequel mon amour et tout mon zиle se tournent.
Vous comprendrez, mon Maоtre, que je ferai tout, pour accomplir ce travail aussi consciencieusement et profondйment que possible. Pour cela, il ne faut pas moins que votre gйnйreuse assistance, je me rendrai cet automne а Paris, pour vous voir et m’absorber dans vos oeuvres, et spйcialement pour pйnйtrer dans les dessins encore si peu connus а l’йtranger. »

A l’automne 1902, Rilke rend visite а Rodin а Meudon. Son йtude paraоt en 1903. Du 15 septembre 1905 au 12 mai 1906, Rilke est le secrйtaire de Rodin, puis donne des confйrences sur la vie et l’oeuvre du sculpteur. Elles seront publiйes en 1907. Parmi elles, un texte sur La Porte de l’Enfer. C’est Rilke qui, en 1908, fera dйcouvrir а Rodin l’hфtel Biron (actuel musйe Rodin ), au 77 rue de Varenne, а Paris.

Rodin, La Porte de l’Enfer

par Rainer Maria Rilke

Rainer Maria Rilke

Une premiиre fois, Rodin lit la Divine Comйdie de Dante. C’est une rйvйlation. Il voit devant lui les corps tourmentйs d’une autre йpoque, voit par-delа les jours, un siиcle mis а nu, voit grand et inoubliable, le jugement d’un poиte sur son temps. Et de Dante il passe а Baudelaire ; dans ces vers, il y a des passages qui sortent de l’йcriture, qui ne semblent pas йcrits, mais modelйs, des mots et des groupes de mots qui sont comme fondus dans les mains brыlantes du poиte, des lignes qui ont du relie- au toucher, et des sonnets qui, comme des colonnes aux chapiteaux alambiquйs, portent le poids d’une pensйe inquiиte. Rodin sent obscurйment que cette oeuvre, lа oщ elle se suspend soudain, prйcipite le commencement d’une autre, ardemment dйsirйe ; il sent en Baudelaire quelqu’un qui l’a prйcйdй, quelqu’un qui ne s’est pas laissй йgarer par les visages et qui sonde les corps, oщ la vie est plus grande, plus cruelle et plus agitйe. Et tout en explorant le mouvement des plans et leur assemblage progressif, il en vient а imaginer des corps qui se toucheraient en beaucoup d’endroits, des corps dont les contacts seraient plus intenses, plus puissants, plus violents. Plus deux corps s’offriraient de points de contacts, plus ils se jetteraient impatiemment l’un vers l’autre comme des substances chimiques d’une grande parentй, et plus le nouveau tout qu’ils formeraient ensemble deviendrait solide et organique.

Et ce n’est rien d’autre que le dйveloppement toujours renouvelй du thиme du contact entre des surfaces vivantes et animйes, que cette prodigieuse Porte de l’Enfer .

Alors Rodin revient а Dante, des souvenirs йmergent. Ugolino. Et les voyageurs eux-mкmes, Dante et Virgile, serrйs l’un contre l’autre. Le tumulte des voluptueux, duquel se dressent, comme un arbre dessйchй, les gestes avides d’un avare. Des centaures, des gйants, monstres, sirиnes, faunes et femmes de faunes viennent а lui, tous les animaux-dieux, sauvages et cruels prйcйdant l’иre chrйtienne. Et il crйe. Il rйalise toutes les figures et les visions du rкve dantesque, les fait monter de la profondeur de sa mйmoire et leur donne, l’une aprиs l’autre, la douce dйlivrance d’кtre chose. Des centaines de figures et de groupes naissent ainsi. Mais les attitudes que le sculpteur saisit dans les mots du poиte appartiennent а une autre йpoque ; chez celui qui les ressuscite, elles provoquent la notion de milliers de gestes diffйrents, gestes de saisir, perdre, souffrir et renoncer, gestes qui ont vu le jour depuis ce temps-lа, et ses mains infatigables trouvent des postures, des agencements toujours plus actuels et qui dйpassent de beaucoup la sphиre du florentin.

Ce travailleur grave et concentrй, qui laisse les sujets venir а lui, trouve son champ d’exploration dans tous les drames de la vie. A prйsent, s’ouvrent а lui la profondeur des nuits d’amour, l’immensitй obscure, pleine de joie et de peine, dans laquelle encore, comme dans un monde toujours originel, il n’y a pas de vкtement, dans laquelle les visages sont secondaires et oщ seuls les corps ont de l’importance. Avec des sens chauffйs а blanc, il entre dans la grande confusion de ses embrasements comme un investigateur de la vie, et ce qu’il voit est. la Vie. Avec lui cela ne devient pas йtriquй, oppressant, cela devient dйmesurй. L’atmosphиre des alcфves est loin.

Ici est la vie, mille fois dans chaque minute, dans le dйsir et dans la douleur, dans la dйmence et l’angoisse, dans la perte et le gain.
Ici est un dйsir incommensurable, une soif si grande que toutes les eaux de la terre dessиchent en elle comme une goutte. Ici il n’y a pas de mensonge ni de reniement et les gestes de donner et de prendre ici sont authentiques et grands.
Ici sont les vices et les blasphиmes, les damnations et les bйatitudes, et l’on comprend tout а coup qu’un monde doit кtre pauvre qui cache cela et l’ensevelit et fait comme si cela n’йtait pas.

Ici l’humanitй endure une faim au-delа d’elle-mкme.
Ici des mains se tendent vers l’йternitй.
Ici des yeux s’ouvrent, regardent la mort et ne la redoutent pas. Ici se dйploie un hйroпsme sans espoir dont la gloire comme un sourire vient et va, fleurit -t se brise comme une rose.
Ici sont les tempкtes du dйsir et les calmes plats de l’attente. Ici sont des rкves qui deviennent rйalitй et des rйalitйs qui s’йvanouissent en rкves.
Ici comme dans un tripot, une fortune de force est gagnйe ou perdue.


La Porte de l’Enfer. haut.

Et parallиlement au grand destin de l’humanitй, va cette autre vie qui ne connaоt pas de dйguisements, de conventions, de distinctions et de rangs,— seulement la lutte. Une vie qui a eu, elle aussi, son dйveloppement. d’instinctive elle est devenue complexitй, de convoitise d’un homme pour une femme, attirance d’un кtre humain pour un autre. Et c’est ainsi qu’elle apparaоt dans l’oeuvre de Rodin. C’est encore l’йternel affrontement entre les sexes, mais la femme n’est plus un animal domptй ou docile. Elle est passionnйe et йveillйe comme l’homme et c’est comme s’ils s’йtaient mis ensemble pour trouver tous deux leur вme. L’кtre qui se lиve la nuit, et doucement va vers l’autre, est comme un chercheur de trйsor qui veut creuser et trouver а la croisйe des sexes, le grand bien-кtre qui est essentiel. Et dans tous les vices, dans tous les plaisirs contre nature, dans toutes les tentatives dйsespйrйes et perdues de trouver un sens infini а la vie, il y a quelque chose de ce dйsir indicible.

Tout cela tient sur la Porte de l’Enfer. Et Rodin qui avait dйjа scrutй tant de vies, atteint ici de la vie, la satiйtй et la dйmesure.
Il fait porter а des centaines et des centaines de figures qui sont seulement un peu plus grandes que ses mains, la vie de toutes les passions, la floraison de tous les plaisirs et le poids de tous les vices. Il crйe des corps qui se touchent partout et tiennent ensemble comme des bкtes se dйvorant l’une l’autre, qui tombent comme une chose dans un abоme, des corps qui йcoutent comme des visages et s’йlancent comme des bras, des bouches qui ont la forme de cris. Ainsi des corps, dont chaque parcelle est volontй, semblent sortir des profondeurs de la terre, des chaоnes de corps, des vrilles et des sarments, et de lourdes grappes de formes dans lesquelles le goыt suave de l’impiйtй monte des racines de la souffrance. Seul Lйonard de Vinci a rйuni des hommes, aussi puissamment et avec la mкme supйrioritй dans sa grandiose description de la fin du monde. Lа comme ici, il y a йgalement ceux qui se jettent dans l’abоme pour pouvoir oublier la grande douleur et d’autres qui brisent la tкte de leurs enfants afin qu’ils ne grandissent pas dans cette mкme douleur.
La multitude de ces figures йtait devenue beaucoup trop nombreuse pour trouver place dans le cadre des vantaux de la Porte de l’Enfer. Rodin choisit et choisit. Il йlimine ce qui est trop singulier pour se soumettre au grand ensemble, tout ce qui n’est pas tout а fait nйcessaire а sa grande cohйsion. Il laisse les figures et les groupes trouver eux-mкme leur place ; il observe la vie du peuple qu’il a crйй, l’йcoute et fait selon la volontй de chacun. Ainsi grandit peu а peu l’univers de cette porte. Les plans sur lesquels les formes plastiques doivent s’agencer commencent а s’animer et par le fait d’un relief s’adoucissant toujours plus, l’йlan des figures s’estompe dans la surface. Dans le cadre, des deux cфtйs, le mouvement dominant est une montйe, une ascension, une йchappйe. Sur les vantaux c’est une chute, un glissement, un йboulement. Les battants sont lйgиrement en retrait et leur bord supйrieur est sйparй du cadre extйrieur par une surface assez large.


Le Penseur. Photo A.G. 18-02-11.

Devant celle-ci, au centre de cet espace clos se tient immobile le Penseur, l’homme qui voit toute la grandeur et tout le tragique de ce spectacle. Tandis qu’il pense а cela, il est assis, absorbй et muet, lourd d’images et de cogitations. Toute sa force, qui est celle d’un homme en action, pense. Tout son corps est devenu crвne et le sang de ses veines cerveau. S’aspirant en lui-mкme, pensant de tout son кtre, il est le point culminant de cette porte, bien qu’au-dessus de lui, trois hommes soient debout. L’йlйvation les faзonne et les dйcoupe aux lointains ; ils ont ensemble courbй la tкte ; leurs trois bras convergents sont tendus en avant. Ils dйsignent vers le bas, le mкme point, dans le mкme abоme qui les attire pesamment.

Parmi les groupes et les sculptures qui ont pris naissance а l’occasion de cette porte, а laquelle Rodin a travaillй pendant vingt ans, il y en a beaucoup d’une grande beautй. Il est impossible de les йnumйrer toutes, comme il est impossible de les dйcrire. Rodin, lui-mкme, a dit une fois qu’il devrait parler un an pour reproduire avec des mots une de ses oeuvres. On peut simplement dire que ces petites statues qui sont conservйes en plвtre, en bronze ou en pierre, semblables а tant de petites figurines de l’antiquitй, donnent le sentiment d’кtre de trиs grandes choses.

Rainer Maria Rilke, Rodin, La Porte de l’Enfer. Collection Quadrangle, 1997 [40 ].


Rodin, Mains d’amants. 1906.
Photo A.G. 24-09-16. Zoom. cliquez l’image.

« Faire avec ses mains ce que l’on voit, voilа la loi souveraine » disait Rodin. « Penser est un travail de la main » йcrira plus tard Heidegger, son « contemporain ». La main du cйlиbre Penseur de La Porte de l’Enfer est insйparable de sa tкte.

La main ? Citons Heidegger dans Was heisst denken ? (Qu’appelle-t-on penser ? ) :

« Seul un кtre qui parle, c’est-а-dire pense, peut avoir une main et accomplir dans le maniement l’oeuvre de la main. Seulement, l’oeuvre de la main est plus riche qu’on ne le considиre habituellement. La main ne fait pas que saisir ou attraper, serrer ou pousser. La main offre et reзoit, et non seulement des choses, car elle-mкme s’offre et se reзoit dans l’autre. La main garde. La main porte. La main trace des signes, sans doute parce que l’homme est un signe. Les mains se joignent, quand ce geste doit conduire l’homme а la grande simplicitй. Tout cela, c’est la main, et l’oeuvre propre de la main. En elle repose tout ce que nous connaissons а titre de mйtier et а quoi nous nous arrкtons habituellement. Mais les gestes de la main traversent la langue de part en part, et ce avec la plus grande puretй lorsque l’homme parle en se taisant. Toutefois, ce n’est qu’autant que l’homme parle qu’il pense et non l’inverse, comme la mйtaphysique le croit encore. Chaque mouvement de la main, dans chacune de ses oeuvres, est portй par et se comporte dans l’йlйment de la pensйe. C’est pourquoi la pensйe elle-mкme est pour l’homme la plus simple, et partant la plus difficile oeuvre de la main, lorsque vient l’heure oщ elle doit кtre proprement accomplie. »

Martin Heidegger, Qu’appelle-t-on penser ? PUF, 1959, p. 90.
Citй en note dans M. Heidegger, Parmйnide. Gallimard, 2011, p. 132.

La tкte ? Citons encore Heidegger (dans son allocution du 3 octobre 1964 а l’occasion d’une exposition du sculpteur Bernard Heiliger) :

« Une tкte n’est pas un corps (Kцrper ) dotй d’yeux et d’oreilles mais un phйnomиne corporant (Leibphдnomen ) qui a reзu l’empreinte de l’кtre-au-monde voyant et entendant. Modelant une tкte, l’artiste ne semble reproduire que ce qui est superficiellement visible ; en vйritй, il donne figure а ce qui est proprement invisible, а savoir la maniиre dont cette tкte regarde le monde, dont elle sйjourne dans l’ouvert de l’espace, y est concernйe par les hommes et les choses. »

Martin Heidegger, Remarques sur art - sculpture - espace.
Rivages poche/Petite bibliothиque, 2009, p. 27.

Les femmes ? « Les branleuses [. ] ont des mains venues d’ailleurs. La main qui retrousse, celle qui entre [. ], tout indique une crise qu’il faut saisir dans l’instant. »

Rodin ? « Il s’agit, bien entendu, d’un sculpteur de gйnie, d’un as du modelage — un homme de mains — », йcrit Sollers dans Le secret de Rodin а propos des dessins du sculpteur [41 ] .

Main du Penseur, main de Dieu, mains d’amants, et tant d’autres.

Laissons encore la parole а Rilke qui, le premier, a vu l’importance des mains chez Rodin.

Les mains de Rodin

par Rainer Maria Rilke


Rodin, La main de Dieu ou la Crйation. 1896.
Marbre, 1902.

L’artiste est celui а qui il revient, а partir de nombreuses choses, d’en faire une seule et, а partir de la moindre partie d’une seule chose, de faire un monde. Il y a dans l’oeuvre de Rodin des mains, de petites mains autonomes qui, sans faire partie d’aucun corps, sont vivantes.

Des mains qui se dressent, irritйes et mйchantes, des mains dont les cinq doigts hйrissйs paraissent aboyer comme les cinq gueules d’un chien des enfers. Des mains qui marchent, des mains qui dorment et des mains qui s’йveillent ; des mains criminelles, des mains а l’hйrйditй chargйe, et d’autres qui sont fatiguйes, qui ne veulent plus rien, qui se sont couchйes dans un coin comme des bкtes malades qui savent que personne ne peut les secourir. Mais les mains sont dйjа un organisme complexe, un delta oщ conflue quantitй de vie venue de loin, pour se dйverser dans le grand fleuve de l’action. Il y a une histoire des mains, elles ont effectivement leur civilisation а elles, leur beautй particuliиre ; on leur reconnaоt le droit d’avoir une йvolution propre, et leurs propres dйsirs, leurs sentiments, leurs lubies et leurs prйfйrences.


Rodin, Deux mains droites, 1909.

Or, Rodin, sachant par l’йducation qu’il s’est donnйe que le corps n’est tout entier composй que des thйвtres oщ se joue la vie — une vie capable а chaque endroit de devenir individuelle et grandiose — a le pouvoir de confйrer а n’importe quelle portion de cette vaste surface vibrante l’autonomie et la plйnitude d’un tout. De mкme que pour lui le corps humain n’est un tout que pour autant qu’une action commune (interne ou externe) mobilise tous ses membres et toutes ses йnergies, de mкme, pour lui, les diffйrentes parties de corps diffйrents s’ordonnent aussi, inversement, en un seul organisme, lorsqu’elles sont jointes ensemble par une nйcessitй intrinsиque. Une main qui se pose sur l’йpaule ou la cuisse d’autrui ne fait dйjа plus tout а fait partie du corps dont elle est venue ; avec l’objet qu’elle effleure ou empoigne, elle forme une nouvelle chose, une chose de plus, qui n’a pas de nom et n’appartient а personne ; et c’est de cette chose, avec ses frontiиres bien dйterminйes, qu’il s’agit dorйnavant.


Rodin, Le baiser. 1886, dйtail. Photo A.G.

Cette dйcouverte est le fondement du groupement des personnages chez Rodin ; c’est d’elle que rйsulte la faзon inouпe dont les figures sont liйes les unes aux autres, la cohйsion des formes et leur maniиre de ne pas se lвcher, а aucun prix. Il ne part pas des figures qui s’enlacent, il n’a pas de modиles qu’il dispose et arrange. Il commence aux endroits oщ le contact est le plus fort, qui sont autant de sommets de l’oeuvre ; il attaque а l’endroit oщ naоt quelque chose de nouveau, et tout le savoir de son instrument, il le consacre aux mystйrieuses manifestations qui accompagnent le devenir d’une chose nouvelle. Il travaille quasiment а la lueur des йclairs qui jaillissent en ces points et, de tout le corps, il ne voit que les parties qui en sont йclairйes. Le charme du grand groupe, homme et jeune fille, intitulй le Baiser . rйside dans la rйpartition sage et йquitable de la vie ; on a le sentiment que, des surfaces en contact, des ondes partent lа dans les corps tout entiers, des frissons de beautй, de pressentiment et d’йnergie. De lа vient qu’on croit voir la fйlicitй de ce baiser partout sur ces corps ; il est comme un soleil qui se lиve, et sa lumiиre est rйpandue partout [. ].

Et Rodin crйa « la Porte de l’Enfer »

Rйalisй par l’artiste-plasticien Bruno Aveillan. un magnifique documentaire sur l’oeuvre matricielle d’Auguste Rodin.

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En 1879, le ministre des Beaux-Arts Edmond Turquet commande а Auguste Rodin une colossale sculpture pour le futur musйe des Arts dйcoratifs. Se rйfйrant а la porte de bronze exйcutйe au XVe siиcle par Lorenzo Ghiberti pour le baptistиre de Florence et considйrйe par Michel-Ange comme "la porte du paradis", Rodin va passer plus de trois dйcennies а imaginer chaque crйature, chaque dйtail, de La porte de l’enfer. Constituйe de dix panneaux, l’œuvre, inspirйe par La divine comйdie de Dante, ne sera pas entiиrement achevйe. Aprиs la mort de l’artiste, en 1917, plusieurs sculptures seront extraites de la monumentale matrice, notamment Le penseur et Le baiser .

Une profonde libertй

Avec l’йcrivain Zoй Balthus. le plasticien Bruno Aveillan explore la genиse et le processus crйatif d’une œuvre fascinante, poursuivie avec acharnement par Rodin une grande partie de sa vie. Invitant des artistes contemporains, entre autres Mircea Cantor. les deux auteurs convoquent au chevet du chef-d’œuvre les arts plastiques, la danse, la poйsie et la littйrature. D’une esthйtique visuelle rare, leur "divin enfer" se rйvиle libйrй des cloisonnements acadйmiques… comme le fut Rodin.

Au Musйe Rodin, rue de Varennes

Paris, 20 janvier 2016 (photographies A. Gauvin).


Rodin, L’йternel printemps. vers 1884.
Bronze. H. 64,5 cm ; L. 58 cm ; P. 44,5 cm. Zoom. cliquez l’image.

Le baiser devait faire partie de la Porte de l’Enfer. Finalement, Rodin renoncera а l’intйgrer dans la composition d’ensemble et c’est isolйment qu’il le prйsentera au public.


Rodin, Le Baiser. 1886.
Zoom. cliquez l’image.


Rodin, Le Baiser .
Zoom. cliquez l’image.


Rodin, Le Baiser (dйtail).
Zoom. cliquez l’image.

Un йvйnement majeur au musйe Rodin.A.G. | 5 mai 2017 - 10:55 1

« Absolution » (autour de 1900) d’Auguste Rodin

Absolution. cette œuvre n’a jamais йtй prйsentйe au public et sort d’une longue restauration. Elle a йtй installйe, au musйe Rodin, а la place du Baiser . dйplacй aux galeries nationales du Grand-Palais dans le cadre de Rodin, l’exposition du centenaire (22 mars – 31 juillet 2017). Absolution est, en ce moment, au sein de l’exposition « Kiefer-Rodin » (14 mars - 22 octobre 2017).
France Culture consacre а cette oeuvre son йmission Les Regardeurs du 23 avril 2017.
Avec Catherine Chevillot. Conservateur gйnйral du patrimoine, directrice du musйe Rodin.
Extraits de. Rainer Maria Rilke, Auguste Rodin. p. 56-58. Traduit de l’allemand par Maurice Betz. Йditions Emile-Paul frиres Paris — Martin Heidegger (dans son allocution du 3 octobre 1964 а l’occasion d’une exposition du sculpteur Bernard Heiliger) — Auguste Rodin dans sa Lettre а Hйlиne de Nostitz. en date du 10 octobre 1905 — Auguste Rodin citй in Anonyme, L’infirmerie des dieux. Le Petit bleu de Paris, 5 avril 1916 — Philippe Sollers, L’Infini n° 37, printemps 1992 .
ECOUTER ET VOIR ICI .


"Absolution", sculpture d’Auguste Rodin. Crйdits. Musйe Rodin
Zoom. cliquez l’image.

La Porte de l’Enfer d’Auguste Rodin,A.G. | 20 octobre 2016 - 18:11 2

Exposition
L’Enfer selon Rodin
Du 18 octobre 2016 au 22 janvier 2017

L’exposition L’Enfer selon Rodin invite le public а revivre la crйation d’une icфne de l’art. La Porte de l’Enfer. Plus de 170 œuvres – dont 60 dessins rarement prйsentйs au public et de nombreuses sculptures restaurйes pour l’exposition – plongeront les visiteurs dans l’histoire fascinante de ce chef-d’œuvre dont l’influence fut considйrable dans l’йvolution de la sculpture et des arts. Avec cette porte mystйrieuse et imposante qui ne s’ouvre pas, Rodin offre une vision spectaculaire des Enfers, pleine de fiиvre et de tourments. Voir ici .

Auguste Rodin,A.G. | 16 novembre 2014 - 12:41 3

Une vie une oeuvre, France Culture, 15 novembre 2014.

Par Franзoise Estиbe. Rйalisation. Lionel Quantin. Prise de son. Pierre Quintard. Attachйe d’йmission. Claire Poinsignon. Archives INA. Sandra Escamez. Avec la collaboration d’Annelise Signoret de la Bibliothиque de Radio France.

En partenariat avec le Musйe Rodin . qui, а partir du 13 novembre (jusqu’au 27 septembre 2015), prйsente une nouvelle exposition. "Rodin, le laboratoire de la crйation. "

> La Porte de l’Enfer d’Auguste Rodin,A.G. | 7 juillet 2011 - 12:02 4

Un Rodin vendu 724.000 euros

Ce marbre du sculpteur a йtй conзue pour « La porte de l’enfer ». Cf. liberation.fr .

  • 15/07/2017 A.G. - Boxe, de Jacques Henric, a obtenu le prix Mйdicis essai et. le prix de l’Acadйmie Franзaise Cher Jacques Henric, Merci de votre tйmoignage et fйlicitations pour votre nouveau prix. La.
  • 15/07/2017 Henric - Boxe, de Jacques Henric, a obtenu le prix Mйdicis essai Cher amis, merci de redonner quelque actualitй а mon livre Boxe. Elle tombe а point puisque je.
  • 15/07/2017 A.G. - Relire la Rйvolution Les Rencontres de Pйtrarque (du 10 au 14 juillet) Leзon inaugurale par Jean-Claude Milner.
  • 14/07/2017 A.G. - Liens Internet La Porte de l’Enfer d’Auguste Rodin.
  • 14/07/2017 Bebert - Rodin Oщ est passй ce merveilleux film "La Porte de l’Enfer" (de 92 ou 93). Je l’ai vu.


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